La littérature africaine et sa langue

Ce texte est un extrait du livre décoloniser l’esprit de Ngugi wa Thiong’o, parut aux éditions la Fabrique .

« Ce livre est mon adieu à l’anglais » : NgugiwaThiong’o, romancier kényan, n’y va pas par quatre chemins, il décide que désormais, il n’écrira plus qu’en kikuyu. L’objectif  est de « se réapproprier tous les moyens par lesquels un peuple se définit », d’engager la construction de ce processus inéluctable pour « reprendre l’initiative de sa propre histoire ».

Dans cette démarche, « le choix d’une langue, l’usage que les hommes décident d’en faire, la place qu’ils lui accordent, tout cela est déterminant et conditionne le regard qu’ils portent sur eux-mêmes et sur leur environnement naturel et social, voire sur l’univers entier. La question de la langue est cruciale et a toujours été au cœur des grandes violences faites à l’Afrique au XXe siècle » .

 

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Extrait d’entretien :

Format à lire en ligne, extrait de la première partie du livre – La littérature africaine et sa langue :

La langue, toute langue, possède deux dimensions : elle est à la fois moyen de communication et vecteur de culture. L’anglais, par exemple, est parlé en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark. Mais pour les Suédois et les Danois il n’est qu’un moyen de communication avec les non-Scandinaves ; il ne dit rien de leur culture. Pour les Britanniques, au contraire, et surtout pour les Anglais, il est indissociablement moyen de communication et vecteur de culture et d’histoire. De même, le kiswahili est largement utilisé comme moyen de communication en Afrique orientale et centrale, mais rares sont au fond les peuples pour lesquels il est vraiment vecteur de culture, comme c’est le cas dans certaines régions du Kenya et de Tanzanie, en particulier à Zanzibar, où il est la langue maternelle des habitants.

Les hommes ont toujours eu besoin d’échanger, explique Marx. La forme d’échange la plus élémentaire est celle qui lie les êtres dès lors qu’ils s’unissent pour produire des richesses ou des biens nécessaires à la vie, nourriture, vêtements, habitations. Une communauté apparaît dès lors qu’on se partage le travail. La communauté la plus simple est celle que forment un homme, une femme et leurs enfants au sein d’un foyer ; puis vient le partage des tâches entre chasseurs, cueilleurs et forgerons, et ainsi de suite, jusqu’à la division complexe du travail dans les usines modernes, où le moindre produit, tee-shirt, chaussure, requiert l’intervention de nombreuses mains et de nombreux esprits. Ces échanges liés à la division des tâches peuvent se doubler d’échanges verbaux, qui reflètent et facilitent les rapports de production. Ils peuvent enfin se doubler d’un troisième type d’échange, postérieur d’un point de vue historique : l’échange de signes écrits, des nœuds de berger les plus élémentaires matérialisant le nombre de têtes de bétail et des hiéroglyphes des chanteurs et poètes kikuyus aux systèmes graphiques les plus complexes d’aujourd’hui.

Dans la plupart des sociétés, langue écrite et langue parlée sont identiques. Ce qui est écrit sur le papier peut être lu à n’importe qui : c’est la langue que chacun a parlée en grandissant. Dans ce type de société, il existe une harmonie entre les deux sphères : l’interaction de l’enfant avec la nature et avec ceux qui l’entourent passe par des mots qui sont à la fois le produit et le reflet de cette interaction. La sensibilité de l’enfant s’exprime dans la langue qui est celle de son expérience quotidienne.

C’est également par l’échange que se développe la culture. À force de répéter du matin au soir les mêmes tâches au sein du même environnement, des schèmes se mettent en place, habitudes, gestes, comportements, expérience, goût d’un certain rythme, façons de voir qui se transmettent à la génération suivante et l’aident à progresser à son tour. Avec le temps, ces valeurs se sédimentent et deviennent des évidences dont chacun se sert pour juger quotidiennement du vrai et du faux, du bien et du mal, du beau et du laid, du courageux et du lâche, du généreux et du mesquin. À la fin c’est une façon de vivre à part entière ; une culture est née, différente des autres, douée d’une histoire propre, de valeurs éthiques, esthétiques et morales propres, bref de « lunettes mentales » singulières, à travers lesquelles les hommes d’un peuple envisagent leur place dans l’univers et s’envisagent eux-mêmes. Tout cela, qui fonde l’identité d’un peuple, se traduit à travers la langue. Chaque langue en tant que culture est la mémoire de l’expérience collective d’un peuple à travers l’histoire. Pas de culture sans langue pour permettre son apparition, sa croissance, sa sédimentation, son explicitation et sa transmission de génération en génération.

Toute culture est le produit d’une histoire, qu’elle reflète à sa façon, et de rapports entre êtres humains unis pour créer de la richesse et se la répartir. Mais la culture n’est pas seulement le reflet de ces rapports ; elle les reflète à travers des images et des représentations du monde, si bien que la

langue en tant que culture joue aussi ce rôle : celui d’un générateur de représentations dans l’esprit de l’enfant. Notre perception de nous-mêmes en tant que peuple, individuellement et collectivement, repose sur ces images et ces représentations qui continuent parfois d’être en accord avec le monde et le cadre où elles sont apparues, mais parfois ne le sont plus. Notre capacité à affronter le monde avec inventivité dépend de l’adéquation ou non de ces représentations à la réalité de nos rapports avec le monde – de la façon dont elles éclairent ou non ces rapports. La langue comme culture est le prisme à travers lequel nous entrons en contact avec nous-mêmes, avec les autres et avec le monde. Elle nous traverse de l’intérieur. La faculté de langage, la faculté d’ordonner des sons de façon à se faire comprendre d’autres êtres humains, est universelle, aussi universelle que le besoin des hommes d’affronter la nature et de s’affronter entre eux. Mais la façon d’ordonner les sons et les mots dans une phrase, les règles auxquelles obéit leur agencement, varient d’une langue à l’autre. C’est la langue dans ce qu’elle a de singulier et de propre à une communauté historique, non le langage dans son universalité, qui porte la culture. Et c’est avant tout par la littérature écrite et la littérature orale qu’une langue transmet les représentations du monde dont elle est porteuse.

Quel effet l’imposition par les colons d’une langue étrangère avait-elle donc sur nous, enfants kenyans ?

Le véritable objectif du colonialisme était de contrôler les richesses : contrôler ce que les gens produisaient, mais aussi la façon dont ils le produisaient et se le répartissaient. Contrôler, en un mot, l’ensemble des relations entretenues par les habitants dans la vie de tous les jours. Ce contrôle, le colonialisme l’imposa par la conquête militaire et la dictature qui s’ensuivit. Mais le champ le plus important sur lequel il jeta son emprise fut l’univers mental du colonisé : les colonisateurs en vinrent, par la culture, à contrôler la perception que le colonise

avait de lui-même et de sa relation au monde. L’emprise économique et politique ne peut être totale sans le contrôle de l’esprit. Contrôler la culture d’un peuple, c’est contrôler la représentation qu’il se fait de lui-même et de son rapport aux autres.

Dans le cas du colonialisme, l’établissement de cette emprise prit deux formes : la destruction ou la dévalorisation systématique de la culture des colonisés, de leur art, de leurs danses, de leurs religions, de leur histoire, de leur géographie, de leur éducation, de leur littérature écrite et orale – et inversement la glorification incessante de la langue du colonisateur. La soumission de l’univers mental du colonisé ne pouvait aller sans la soumission des langues des peuples colonisés aux langues des nations colonisatrices.

En imposant une langue étrangère et en supprimant les langues autochtones écrites et parlées, le colonialisme brisa l’harmonie jusque-là établie entre l’enfant et sa langue. Loin de refléter les rapports de la vie réelle, la langue imposée ne correspondait plus à rien de la vie de la communauté. Cela explique peut-être pourquoi le mot « technologie » continue de nous paraître vaguement étranger et de nous sembler leur invention plutôt que la nôtre. J’avais toujours trouvé au mot « missile » des sonorités étrangères et lointaines, jusqu’à ce que j’apprenne récemment son équivalent en

kikuyu, « ngurukuhi », qui me le fit appréhender différemment. Apprendre, pour l’enfant des colonies, devint une activité cérébrale et cessa d’être une expérience sensible.

À l’oral, pourtant, les langues imposées ne parvinrent jamais vraiment à faire disparaître les langues autochtones. C’est donc surtout à l’écrit que leur domination se traduisit de façon spectaculaire. La langue de l’enfant africain scolarisé était étrangère. La langue des livres qu’il lisait était étrangère. La langue dans laquelle il réfléchissait était étrangère. La moindre de ses pensées se coulait dans le moule d’une langue étrangère, si bien que la langue écrite de tout enfant dont la scolarité se prolongeait (sa langue écrite et souvent sa langue orale à l’intérieur des murs de l’école) finissait par devenir distincte de la langue qu’il parlait à la maison. Il n’y avait plus le moindre rapport entre le monde écrit de l’enfant (celui de ses journées à l’école) et le monde domestique de sa famille et de sa communauté. L’harmonie était irrévocablement rompue, le monde intérieur de l’enfant coupé de son environnement naturel et social : c’était ce qu’on pourrait appeler l’aliénation coloniale – une aliéna-tion que renforça l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de la musique, où l’Europe occupait toujours le centre de l’univers.

Cette fracture entre l’enfant et son environnement immédiat apparaît mieux encore si on examine la culture à laquelle l’élève se trouvait, par la langue, exposé : une culture tout entière produite par un monde étranger, qui l’obligeait à se considérer d’un point de vue extérieur à lui-même. Capturés de bonne heure est le titre d’un livre de Bob Dixon sur le racisme, la lutte des classes, le sexe et la politique dans la littérature pour enfants. « Les capturer de bonne heure » était exactement la politique du système colonial vis-àvis des enfants colonisés. Il fallait ensuite des années, dans le meilleur des cas, pour éradiquer les représentations du monde inoculées dès le

plus jeune âge dans leur esprit. Dans la mesure où la culture ne se contente pas de refléter l’univers àtravers des images mais conditionne notre regard sur le monde, l’enfant des colonies finissait par regarder son propre univers du même œil que les colonisateurs. Il ne voyait plus le monde qu’à travers le regard de la littérature de sa langue d’adoption. Cette littérature représentait peutêtre la meilleure tradition humaniste – Shakespeare, Goethe, Balzac, Tolstoï, Gorki, Brecht, Cholokhov, Dickens – mais pour ce qui est de l’aliénation et du fait de se considérer d’un point de vue extérieur à soi, cela ne changeait rien. L’illustre miroir de l’imagination se trouvait en Europe et l’ensemble de l’univers, son histoire, sa géographie, sa culture, s’ordonnaient invariablement à partir de ce centre.

Mais le pire était l’image que les langues imposées à l’enfant lui renvoyaient de son propre monde. Il n’apprenait pas seulement à associer la langue de son peuple à l’infériorité sociale, à l’humiliation, aux châ-timents corporels, à des formes d’intelligence et d’aptitudes foulées aux pieds, voire purement et simplement à la bêtise, l’incohérence et la barbarie ; tout cela s’étayait de théories qu’il rencontrait dans les œuvres de grandes figures du racisme comme Rider Haggard ou Nicholas Monsarrat, sans parler des jugements à l’emporte-pièce qu’il trouvait chez certains monuments de la culture et du panthéon philosophique occidental comme Hume (« le nègre est par nature inférieur aux Blancs »), Thomas Jefferson (« les Noirs sont inférieurs aux Blancs quant aux dons du corps et de l’esprit ») ou encore Hegel, pour qui l’Afrique est pareille à une terre restée en enfance et encore enveloppée, du point de vue du développement de la conscience historique, de ténèbres excluant que rien de profitable à l’humanité ait la moindre chance d’y être jamais découvert.

Dans sa communication « Littérature écrite et représentations noires », lue en 1973 à la conférence de Nairobi sur l’enseignement de la littérature africaine à l’école, l’universitaire kenyane MicereMugo a raconté comment le portrait de la vieille Gagool, dans Les Mines du roi Salomon de Rider Haggard, lui avait pendant des années inspiré une frayeur mortelle chaque fois qu’elle voyait une vieille femme africaine. Dans son autobiographie Cette vie, Sydney Poitier a décrit la façon dont il en était venu, à force de lectures, à associer l’Afrique aux serpents. À son arrivée en Afrique, descendu dans un hôtel moderne d’une grande ville, il ne put s’endormir et passa la nuit à vérifier qu’aucun reptile ne se cachait nulle part, y compris sous son lit ! Ces deux-là ont su identifier l’origine de leur peur. Mais de nombreux autres ne peuvent en faire autant et continuent de subir au quotidien, dans leurs choix culturels et politiques, l’influence de cette image négative.

Bien que la langue coloniale lui ait été imposée, Léopold Sédar Senghor a très clairement dit que si on le laissait libre de recommencer, il opterait de nouveau pour le français. Il se fait presque lyrique dans sa soumission à sa langue d’adoption : « Si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle […]. Je sais ses ressources pour l’avoir goûté, mâché, enseigné, et qu’il est la langue des dieux. […] Chez nous, les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ; les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit. »

En récompense de ses loyaux services, Senghor s’est vu gratifier d’une place d’honneur à l’Académie française, chargée de sauvegarder la pureté de la langue française. Au Malawi, le président Banda a érigé son propre monument en créant une institution, la KamuzuAcademy, conçue pour aider les plus brillants élèves du pays dans leur cursus en anglais : « La KamuzuAcademy est un lycée destiné à former des garçons et des filles dignes d’intégrer des universités comme Harvard, Chicago, Oxford, Cambridge ou Edimbourg et capables de tenir tête à leurs pairs du monde entier. Le président a imposé que le latin y occupe une place majeure parmi les cours. Tout enseignant devra avoir fait au moins un peu de latin au cours de sa formation académique. Le président Banda a souvent dit que personne ne pouvait maîtriser parfaitement l’anglais s’il ne connaissait pas d’autres langues comme le latin ou le français. »

Comble d’aberration, aucun professeur local n’est autorisé à enseigner à l’académie – aucun n’est assez compétent sans doute – et l’ensemble du personnel enseignant vient de Grande-Bretagne. Un Malawien risquerait probablement de faire baisser le niveau, ou de nuire à la pureté de l’anglais enseigné ! Peut-on rêver meilleur exemple de haine de soi, et déférence plus servile envers tout ce qui, même mort, provient de l’étranger ?

Dans les livres d’histoire et les conversations de comptoir, on a souvent souligné les prétendues différences d’un empire colonial à l’autre, et opposé le contrôle indirect exercé par les Britanniques (ou plutôt leur pragmatisme en l’absence de véritable programme) à la politique d’assimilation culturelle délibérée mise en œuvre par les Français et les Portugais. Ce ne sont au fond que des différences de détail. Au bout du compte l’effet était le même : l’engouement de Senghor pour le français et son universalité n’est pas si éloigné de la reconnaissance témoignée par Chinua Achebe à la langue anglaise en 1964 : « Ceux d’entre nous qui ont hérité de l’anglais ne mesurent peutêtre pas la valeur de ce legs. » Pas plus qu’il ne diffère au fond des déclarations de ceux d’entre nous qui abandonnèrent notre langue maternelle et décidèrent d’adopter pour nos écrits les langues européennes. En fin de compte, la conférence des écrivains africains de langue anglaise se contenta d’entériner, de plein gré et presque avec orgueil, ce que des décennies d’éducation intransigeante et de mise au pas nous avaient déjà forcés à accepter : la « position inattaquable de l’anglais dans notre littérature ».  Cette suprématie était profondément liée à l’impérialisme. Mais nous ne prîmes la peine de remettre en question ni l’impérialisme ni ses effets. C’est le triomphe définitif d’un système de domination, quand les dominés se mettent à chanter ses vertus.

 

Pour un communisme gay

Publié sur trou noir le 28 mars 2020

Mario Mieli était une figure importante du mouvement de libération homosexuelle italien des années 1970. Militant homosexuel, « transsexuel » et révolutionnaire, les théories et pratiques politiques de Mieli sont un bol d’air frais pour qui veut sortir du placard de la normalité et penser la question du genre à distance des seules revendications. En France, un seul ouvrage a été traduit (Éléments de critique homosexuelle) aux éditions Epel. Et un second est en cours de traduction ( la gaie critique )pour une publication en 2021 aux Éditions la Tempête.
Cet article tente de réactualiser la teneur radicale de sa pensée.

 « Oui, je suis persuadé que tous les êtres humains sont homosexuels ; je suis tellement de cet avis qu’il m’est difficile de comprendre qu’on puisse être d’un autre. » Georg Groddeck, Le livre du Ça

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COMPOSITION

Texte extrait du livre La forme-Commune par Kristin Ross aux éditions La Fabrique
« La composition est la marque d’un investissement massif dans l’organisation de la vie en commun sans les exclusions au nom des idées, des identités ou des idéologies qu’on rencontre si fréquemment dans les milieux radicaux. En tant que tel, c’est le tissage d’un nouveau type de solidarité, où l’unité d’expérience compte plus que la divergence d’opinions, et qui répond à la conviction de Kropotkine pour qui la solidarité n’est ni une éthique ni un sentiment moral – c’est une stratégie révolutionnaire, et sans doute la plus importante de toutes. »

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OFFENSIVE MICRO- POLITIQUE

Texte de Joel, Marika et Adèle (membres de reprise de terre) paru initialement dans la revue Socialter « ces terres qui se libèrent »

Ce texte a été écrit à trois, depuis nos expériences dans des collectifs de lutte et de vie, afin d’éclairer quelques angles morts collectifs systémiques. Nous tentons d’esquisser les conditions qui nous permettraient de faire front commun, de dépasser les conflits et écueils récurrents pour fonder des collectifs pérennes et politiquement féconds.

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Sixième déclaration de la forêt Lacandone

Vendredi 22 juillet 2005

ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE. MEXIQUE     Texte traduit par le comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

Voici notre parole simple qui voudrait arriver au cœur des gens comme nous, humbles et simples, mais, tout comme nous aussi, rebelles et dignes. Voici notre parole simple pour raconter le chemin que nous avons parcouru et où nous en sommes aujourd’hui ; pour expliquer comment nous voyons le monde et notre pays ; pour dire ce que nous pensons faire et comment nous pensons le faire, et pour inviter d’autres à faire le chemin avec nous dans quelque chose de très grand qui s’appelle le Mexique et dans quelque chose de plus grand encore que l’on nomme le monde. Voici notre parole simple pour faire savoir à tous les cœurs honnêtes et nobles ce que nous voulons au Mexique et dans le monde. Voici notre parole simple, parce que c’est notre volonté d’appeler ceux qui sont comme nous et de nous unir à eux, partout où ils vivent et où ils luttent.

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DE QUOI HIER SERA FAIT

Extrait de la première partie de pièce, de quoi hier sera fait, de Barbara Métais-Chastannier, mise en scène par Marie Lamachère (CIE INTERSCTICES) créée le 15 janvier 2020 au centre dramatique de Montpellier.
 

En 2050, d’après les pronostics, deux tiers de la population mondiale habiteront les villes. Dans un contexte de crise écologique et d’aggravation des inégalités, l’avenir des mégalopoles et autres centres urbains se réduit-il à la certitude du pire ? Construite comme une fiction d’anticipation, la pièce suit le trajet de sept personnages, autant de vies possibles, envoyées dans l’avenir comme pour le sonder et nous tendre en miroir l’image, inédite, de futurs qui s’inventeraient ailleurs que dans la catastrophe.

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A propos de l’incommensurabilité

Texte extrait de, La décolonisation n’est pas une métaphore, de Eve Tuck et K. Wayne Yang, aux Editions Rot Bo Krik, paru en 2022.

Incommensurabilité: caractère de ce qui est si grand qu’il ne peut être mesuré.

4ème de couverture : 

Cet essai entend rappeler que la décolonisation, c’est la restitution aux autochtones de leurs vies et de leurs terres. Elle n’est pas la métaphore d’autre chose, quand bien même cette autre chose tendrait à améliorer nos sociétés. Les luttes pour la justice sociale, l’élaboration de méthodologies critiques ou le décentrement des perspectives coloniales, si importants soient-ils, ne convergent pas nécessairement avec le processus de décolonisation. Métaphoriser la décolonisation, c’est donner accès à toute une gamme d’esquives, ou « manœuvres de disculpation », qui permet souvent de se réconcilier avec la situation coloniale.

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Extrait à lire en ligne :

L’incommensurabilité, c’est la reconnaissance que la décolonisation nécessite de changer l’ordre du monde. Cela ne veut pas dire que les peuples autochtones ou noirs ou de couleur devront prendre des positions de domination par rapport aux colons blancs ; le but n’est pas d’échanger les rôles dans la triade coloniale et de repartir pour un tour de manège. Le but est de briser l’implacable structuration de la triade et de trouver le point de rupture et non de compromis. Briser la triade coloniale cela veut dire, très explicitement, restituer leurs terres aux tribus et nations autochtones souveraines, abolir l’esclavage sous ses formes contemporaines et démanteler la métropole impériale. La décolonisation « ici » est intimement liée à l’anti-impérialisme ailleurs. Cependant, les luttes décoloniales ici et là-bas ne sont ni parallèles, ni également en partage, ni n’apportent de conclusion nette aux préoccupations de toutes les personnes concernées – et surtout pas à celles des colons. La décolonisation n’est pas une équivoque des autres luttes anticoloniales. Elle est incommensurable. Tant de choses sont incommensurables, tant de chevauchements ne peuvent être figurés, ne peuvent être résolus. Tout autour du monde, le peuplement de colonialisme alimente l’impérialisme. Le pétrole est le moteur et le motif de guerre, comme le fut le sel, comme le sera l’eau. La souveraineté coloniale sur ces lopins de terre, d’air, d’eau est cela même qui rend ces impérialismes possibles. Leslie Marmon Silko nous rappelle que ce pollen jaune dans l’eau de la réserve de Laguna Pueblo au Nouveau- Mexique, c’est le même uranium qui, en deux éclairs, a anéanti plus de 200 000 étrangers. Ce même pollen jaune qui empoisonne la terre dont il provient. Utilisé dans une guerre qui emporta toute une génération de jeunes hommes. Silko fait parler son personnage Bétonie :

Il y a trente mille ans, ils n’étaient pas des étrangers. Vous avez vu ce que le mal a fait. Vous avez vu la sorcellerie croître jusqu’à prendre la taille même du monde. 

A Tucson, en Arizona, là où Silko vit, ses livres sont désormais interdits dans les écoles. Seuls peuvent être enseignés les ouvrages affirmant l’innocence et l’ingénuité des colons, et leur droit à l’Amérique.

Dans « No », sa réponse à l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, la poétesse muskoke/ creek Joy Harjo écrit :

C’est moi que vous avez vue trembler de bravoure, un fusil estampillé par le gouvernement sur le dos. Je suis désolée de ne pas avoir pu vous saluer, comme vous le méritiez, mon parent.

Les Natifs américains ne s’enrôlent-ils pas plus que les autres dans l’armée ? demande le jeune homme du Vietnam. « Pays indien (Indian Country) est le terme qu’utilise et qu’utilisait l’armée américaine pour désigner un territoire ennemi » au Vietnam, en Afghanistan ou en Irak. Le premier président noir américain a déclaré sans sourciller: « Il y a eu un moment, autant que les gens soient partis, autant que nous ayons fait remonter tout le monde dans l’hélicoptère pour les faire rentrer à la base, où ils ont dit que Geronimo avait été tué, et Geronimo était le nom de code de Ben Laden. » Elmer Pratt, leader du Black Panther Party, emprisonné à tort pendant vingt-sept ans, vétéran du Vietnam, était lui aussi surnommé «Geronimo», Geronimo fut le surnom donné par les colons au guerrier apache Bedonkohe qui combattit l’expansion sur les terres tribales apaches des Mexicains puis des Américains. Le Colt 45 a certes été perfectionné pour tuer les autochtones durant la libération de ce qui devint les Philippines, mais il fut d’abord inventé pour les « guerres indiennes » en Amérique du Nord, tout comme le canon Hotchkiss – une mitrailleuse lourde. Les technologies de la guerre permanente menée par les colons servent ensuite pour les guerres étrangères, et cela comprend aussi les pensionnats, les écoles coloniales et les écoles en milieu urbain encadrées par des militaires.

Ces zones sont appelées pays indien à juste titre. L’idéologie du colonialisme de peuplement états-unien informa directement le colonialisme de peuplement australien. Les townships dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, les zones de tir (kill-zones) dans ce qui devint la colonie philippine, alors Etat-Nation, comme le morcèlement en damier avec checkpoints des terres palestiniennes, tout cela fut modelé sur la saisie des terres américaines et le confinement de corps « indiens » dans des réserves. La science raciale développée aux Etats-Unis (une science raciale coloniale de peuplement) servit de source au projet de pureté raciale de Hitler ( « Ce livre est ma bible » , disait-il de l’ouvrage The Passing of the Great Race de Madison Grant.) Une admiration parfois mutuelle, tant les médecins et administrateurs des programmes de stérilisations forcées d’une population principalement féminine, noire ou native, handicapée et ou pauvre, louaient l’eugénisme nazi – une loi de stérilisation (Sterilization Act) qui accompagna la loi sur l’intégrité raciale (Racial Integration Act) et « l’exception Pocahontas ».  Les stérilisations forcées ne devinrent illégales en Californie qu’en 1964. Les technologies de management du colonialisme de peuplement nord-américain ont fourni des outils aux colonialismes internes ailleurs.

De même pour les philosophies d’accaparement des terres (land-
grabbing) par l’Etat et les entreprises. La prévalence des perspectives d’un  « monde plat » indique combien la technologie a permis de diminuer l’importance des lieux et des frontières. Si les frontières des Etats-Unis sont plus prétendument devenues flexibles, simultanément la frontière physique est plus absolue et plus gardée. La frontière n’est plus une simple ligne suturant deux Etats-nations : les États-Unis contrôlent désormais leurs frontières à l’intérieur de leur territoire tout en exerçant leur souveraineté dans le monde entier. Le colonialisme de peuplement, tout comme la souveraineté, s’est ainsi étendu sous des formes partielles.

À la Nouvelle Orléans, le quartier de Lower Ninth Ward se trouve à la confluence des canaux du fleuve et des eaux du golfe du Mexique, et à l’intersection entre l’accaparement des terres et la servitude humaine. L’effondrement des digues a marqué la détérioration sélective des natifs-esclaves, une fois de plus à des fins de réinvasion, de réinstallation et de réimplantation. Le désastre naturalisé d’inondations dues à l’ouragan Katrina a fourni la couverture parfaite pour la spéculation foncière et l’amputation des personnes excédentaires. Ce qui ne peut être résorbé ne peut être incorporé (parce que les colons ne céderont pas LEURS ?? pour promouvoir l’abolition) et se traduit par des empilements de corps les uns sur les autres dans des logements sociaux et des prisons, dans des cellules, à l’écart du marché du travail mais donnant du travail à d’autres (personnels pénitentiaires) et rapportant de l’argent aux Etats – de véritables fermes humaines. Pour cela, il faut fabriquer du crime à des taux plus élevés que n’importe où ailleurs dans le monde. Dans L’Etat de Louisiane, une personne sur six est incarcérée, se qui constitue la quantité de personnes en cage la plus élevée par habitant, et fait de cet Etat la capitale carcérale des Etats-Unis et donc la capitale mondiale de l’incarcération.

Les deltas du Mississippi et de la Yazoo furent autrefois des terres si fertiles que l’on put les pressurer pour produire une quantité extraordinairement excédentaire  de coton, engendrant un esclavage de plantation d’une échelle exceptionnelle. Les planteurs vivaient dans des maisons semblables aux pyramides et l’esclavage y prit une forme extrême, même pour le sud des Etats-Unis, qui commença par l’asservissement des Chitimacha, des Chacta (Choctaw), des Natchez, des Chaoüacha, des Westo, des Yamasee, des Yuchi et des Tawasa, remplacés ensuite par des Ouest-Africains réduits en esclavage. Que l’on fit tous littéralement travailler à mort. L’endroit le plus sudiste de la terre était un lieu de terreur absolue pour les Noirs, même au regard du régime de l’esclavage (le pire lieu où l’on pouvait être vendu aussi, le lieu du non-retour, le lieu de la mort prématurée). Noirs et Natifs furent tout autant incités à attaquer et à asservir les tribus autochtones, pour monnayer leur propre liberté ou pour différer leur propre asservissement par les colons britanniques, français puis américains. L’abolition a ses incommensurabilités.

La ségrégation dans le delta est désormais pire que dans les années 1950, pendant l’ère Jim Crow. Un nombre croissant de villages ou townships sont paupérisés en conséquence de la mécanisation de l’agriculture et du pacte colonial fondamental qui maintient les Noirs sans terre. Quand la main-d’œuvre noire est désœuvrée, c’est la personne noire sous-jacente qui est excédentaire.

Angola Farm est peut-être le plus célèbre des deux pénitenciers d’Etat sur les rives du Mississippi. Cinq cents kilomètres en amont, dans le Delta supérieur, se trouve Parchmnent Farm. Dans les deux cas, celui de Parchment (pénitencier d’Etat du Mississippi) et celui d’Angola (pénitencier d’Etat de Louisiane), il s’agit d’anciennes plantations esclavagistes transformées en fermes de location de prisonniers (convict-leasing farms) dans l’immédiate après-guerre de Sécession, par la grâce de spéculateurs fonciers de génie reconvertis en directeurs de prison. Après la victoire des Nordistes qui abolit l’esclavage, l’ancien major confédéré Samuel Lawrence James obtint la concession du pénitencier d’Etat de Louisiane en 1869, puis acheta Angola Farm en 1880 pour y faire travailler ses esclaves.

Des cages sur roues. Pour faire travailler la terre à des personnes sans terre dont le crime était la mobilité sur une terre qu’elles ne possédaient pas. Le plus grand trafiquant d’êtres humains au monde n’est pas quelque triade secrète thaïlandaise, la mafia russe ou encore les passeurs chinois, non, c’est bien, au sein des Etats -Unis, L’Etat carcéral. On a parlé à juste titre de néo-esclavage à propos de cet Etat carcéral américain, précisément parce qu’il y est légal. Il ne s’agit pas simplement d’un produit du racisme exceptionnel des Etats-Unis ; son racisme est une fonction du mandat colonial qui fait de la terre et des personnes des propriétés.

Dans le Sud de l’avant-guerre de Sécession, les Codes noirs avaient rendu illégal le vagabondage – en d’autres termes le fait de ne pas avoir de terre -, en faisant de la possession d’un corps, pourtant dépossédé, un crime (la même logique ayant permis la capture l’emprisonnement et la mise au travail forcée de n’importe quel « Indien » de Californie par n’importe qui jusqu’en 1987, à partir d’une idéologie établissant que les « Indiens » étaient à la fois sans terre et comme une terre). Dennis Childs écrit que ce sont le navire esclavagiste et la plantation, et non le panoptique de Bentham tel que présenté par Foucault, qui servirent de référence spatiale, raciale et économique pour les modèles ultérieurs de travail forcé et d’entreposage d’êtres humains – pour le complexe industriel carcéral d’origine de l’Amérique.  En contexte de peuplement
colonial, géopolitique et biopolitique sont complètement entrelacées.

Si de plus en plus de prisons sont cotées en bourse, les Farms n’en sont pas pour autant des entreprises fondamentalement capitalistes ; en leur cœur, elles sont des institutions sous contrat colonial, comme les missions espagnoles, les pensionnats « indiens » et le système scolaire des ghettos. La mise en cage des corps noirs est financée par I’Etat, des terres sont concédées puis travaillées par la main-d’œuvre incarcérée pour générer des profits supplémentaires pour les propriétaires de prison. Néanmoins, dans le cadre du colonialisme de peuplement, l’objet principal de l’esclavage n’est pas le travail forcé, mais bien plutôt la gestion des populations excédentaires présentes sur les terres.

Aujourd’hui, 85% des personnes incarcérées à Angola y meurent.

 

 

 

Autonomie: l’imaginaire révolutionnaire de la subsistance

Bonnes feuilles extraites de Aurélien Berlan, Terre et Liberté, la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, Editions La Lenteur, 2021.

Article  à retrouver sur la revue en ligne TERRESTRE en date du 21 novembre 2021

Dans son essai Terre et liberté, Aurélien Berlan s’interroge sur ce qui, dans la conception moderne de la liberté, a contribué à nous mettre sur les rails du désastre socio-écologique actuel. Dans un premier chapitre, il montre que derrière la conception libérale de la liberté, il y a le désir d’être déchargé, délivré, de certaines activités relatives à la dimension politique et matérielle de la vie quotidienne. Et dans le deuxième chapitre, il élargit la focale de son enquête pour mettre en évidence que ce désir de délivrance, notamment dans sa dimension matérielle, s’enracine très profondément dans les imaginaires et les pratiques sociales – et qu’il est devenu hégémonique à l’âge moderne, traversant la plupart des conceptions socialistes de la liberté. Nous vous proposons le début du chapitre 3 où Aurélien Berlan analyse une autre conception de la liberté, diamétralement opposée puisqu’elle n’invite pas à se décharger des nécessités de la vie, mais à les prendre en charge nous-mêmes.

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Autonomie limaginaire revolutionnaire de la subsitance – livret

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ENTRETIEN AVEC LE FRONT UNI DES IMMIGRATIONS ET DES QUARTIERS POPULAIRES DU NORD

AUTODEFENSE DES QUARTIERS POPULAIRES ET LUTTE CONTRE LES OPPRESSIONS CLASSE/RACE/SEXE

Entretien extrait du livre lutter ensemble de Juliette Rousseau aux éditions Cambourakis
Le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires est un mouvement national né en 2012 composé d’organisations locales ancrées dans différents quartiers populaires et structuré autour d’un principe d’autonomie politique des organisations membre du Front entre elles et vis-à-vis du reste du mouvement social. L’entretien qui suit a été réalisé avec deux membres du FUIQP à Lille, Said et Jessy, qui ont partagé le fonctionnement de leur collectif en lien avec les oppressions qui s’y jouent, ainsi que les réflexions qui s’élaborent collectivement dans ce contexte. Celles-ci font écho à beaucoup de questions qui traversent le reste du livre, tant sur le plan des oppressions et de la complexité qu’implique d’agir sur elles dans la pratique politique et d’organisation, que sur le lien à construire entre ce travail, en interne, et la lutte du collectif vers l’extérieur. Et sur ce point précis, ce que la pratique du FUIQP vient confirmer, c’est l’idée que l’un ne va pas sans l’autre : c’est bien le cadre de lutte et de l’action politique qui donne à la transformation de nos façons d’être collectivement face aux dominations son sens et sa force

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Les juifs sont encore là, dans chaque bracelet

Poèmes extrait de La résistance des bijoux, Contre les géographies coloniales, Ariella Aisha Azoulay aux éditions ROT BO KRIK
A la mort de son père, juif d’Oran naturalisé français puis israélien, Ariella Azoulay découvre dans un document que sa grand-mère portait le prénom de Aisha.

En deux récits mêlant autobiographie et théorie politique, l’autrice serpente entre les catalogues de bijoux, les photos trouvés et les collections d’objets pillés, pour déployer par fragments l’histoire de se famille et mettre en parallèle les colonialismes français en Algérie et sioniste en Palestine. Entre ces projets impériaux, elle saisit bien des continuités, à commencer par la volonté obstinée de détruire l’enchevêtrement séculaire des mondes juifs, arabes et berbères, un entrelacs qu’elle revendique pour mieux le restaurer.

Les juifs sont encore là, dans chaque bracelet – page par page

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