To my people

Texte écrit par Assata Shakur le 4 juillet 1973. Enregistré pendant qu’elle était en prison dans le New Jersey et diffusé sur de nombreuses radios, il est retranscris dans son autobiographie (1988) réimprimée par les éditions Premiers Matins de Novembre (2025).

Dans les années 1970-1980, la force grandissante de la Black Liberation Army aux Etats-Unis entraine une vague d’arrestations. Assata Shakur, activiste et leader politique est accusée du meurtre d’un policier en 1977 et condamnée à perpetuité. Elle s’adresse dans ce texte à son peuple, les noir.es américains subissant racisme et violences quotidiennes, qu’elle appelle à résister et à se lever contre les injustices, pour la libération noire.

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Frères noirs, sœurs noires, je veux que vous sachiez que je vous aime et j’espère qu’au fond de vos cœurs, vous avez de l’amour pour moi. Mon nom est Assata Shakur (nom d’esclave Joanne Chesimard), et je suis une révolutionnaire. Une révolutionnaire noire. Par là, j’entends que j’ai déclaré la guerre à toutes les forces qui ont violé nos femmes, castré nos hommes, et laissé nos bébés le ventre vide.J’ai déclaré la guerre aux riches qui prospèrent sur notre pauvreté, aux politiciens qui nous mentent avec des sourires, et à tous les robots sans esprit et sans cœur qui les protègent, eux et leurs biens.

Je suis une révolutionnaire noire et, en tant que telle, je suis victime de toute la colère, de toute la haine et de toute la diffamation dont l’Amérik est capable. Comme pour tous les autres révolutionnaires noirs, l’Amerik essaie de me lyncher.

Je suis une femme révolutionnaire noire, et à cause de cela j’ai été inculpée et accusée de chaque crime présumé impliquant une femme. Pour les crimes présumés auxquels seuls des hommes auraient participé, j’ai été accusée de les avoir planifiés. Ils ont placardé des photos censées être de moi dans les bureaux de poste, les aéroports, les hôtels, les voitures de police, les métros, les banques, à la télévision et dans les journaux. Ils ont offert plus de cinquante mille dollars de récompense pour ma capture, et ils ont donné l’ordre de tirer à vue, de tirer pour tuer.

Je suis une révolutionnaire noire et, par définition, cela fait de moi une membre de la Black Liberation Army. Les porcs ont utilisé leurs journaux et leurs télévisions pour peindre la Black Liberation Army comme des criminels vicieux, brutaux, des chiens enragés. Ils nous ont appelés gangsters et “gun molls”, et nous ont comparés à des personnages comme John Dillinger et Ma Barker. Il devrait être clair, il doit être clair pour quiconque peut penser, voir ou entendre, que nous sommes les victimes. Les victimes, et non les criminels.

Il devrait aussi nous être clair maintenant qui sont les véritables criminels. Nixon et ses partenaires de crime ont assassiné des centaines de frères et sœurs du Tiers-Monde au Vietnam, au Cambodge, au Mozambique, en Angola et en Afrique du Sud. Comme l’a prouvé le Watergate, les plus hauts responsables de l’application de la loi dans ce pays sont une bande de criminels menteurs. Le président, deux procureurs généraux, le directeur du FBI, celui de la CIA et la moitié du personnel de la Maison-Blanche ont été impliqués dans les crimes du Watergate.

Ils nous appellent des meurtriers, mais nous n’avons pas assassiné plus de deux cent cinquante hommes, femmes et enfants noirs non armés, ni blessé des milliers d’autres dans les émeutes qu’ils ont provoquées pendant les années soixante. Les dirigeants de ce pays ont toujours considéré leurs biens comme plus importants que nos vies. Ils nous appellent meurtriers, mais nous ne sommes pas responsables des vingt-huit détenus noirs et des neuf otages tués à Attica. Ils nous appellent meurtriers, mais nous n’avons pas assassiné ni blessé plus de trente étudiants noirs non armés à Jackson State — ni à Southern State.

Ils nous appellent meurtriers, mais nous n’avons pas assassiné Martin Luther King Jr., Emmett Till, Medgar Evers, Malcolm X, George Jackson, Nat Turner, James Chaney, et d’innombrables autres. Nous n’avons pas assassiné, en tirant dans le dos, Rita Lloyd (16 ans), Rickie Bodden (11 ans) ou Clifford Glover (10 ans). Ils nous appellent meurtriers, mais nous ne contrôlons ni n’appliquons un système de racisme et d’oppression qui assassine systématiquement des Noirs et des peuples du Tiers-Monde. Bien que les Noirs représentent soi-disant environ quinze pour cent de la population totale américaine, au moins soixante pour cent des victimes de meurtre sont noires. Pour chaque “poucav” tué dans la soi-disant ligne de devoir, il y a au moins cinquante Noirs assassinés par la police.

L’espérance de vie des Noirs est bien plus basse que celle des Blancs, et ils font tout leur possible pour nous tuer avant même que nous soyons nés. Nous sommes brûlés vifs dans des taudis inflammables. Nos frères et sœurs font des overdoses de héroïne et de méthadone chaque jour. Nos bébés meurent d’empoisonnement au plomb. Des millions de Noirs sont morts à cause de soins médicaux indécents. C’est du meurtre. Et ils ont le culot de nous appeler meurtriers.

Ils nous appellent ravisseurs, pourtant le frère Clark Squires (accusé avec moi d’avoir assassiné un policier de l’État du New Jersey) a été enlevé le 2 avril 1969 de notre communauté noire et détenu contre une rançon d’un million de dollars dans l’affaire du complot du Panther 21 à New York. Il a été acquitté le 13 mai 1971, ainsi que tous les autres, des 156 chefs d’accusation par un jury qui a délibéré en moins de deux heures. Le frère Squires était innocent. Pourtant il fut kidnappé de sa communauté et de sa famille. Plus de deux ans de sa vie ont été volés, mais ils nous appellent ravisseurs. Nous n’avons pas kidnappé les milliers de frères et sœurs détenus dans les camps de concentration américains. Quatre-vingt-dix pour cent de la population carcérale dans ce pays est composée de Noirs et de peuples du Tiers-Monde qui ne peuvent se payer ni caution ni avocats.

Ils nous appellent voleurs et bandits. Ils disent que nous volons. Mais ce n’est pas nous qui avons volé des millions de Noirs du continent africain. Nous avons été dépouillés de notre langue, de nos dieux, de notre culture, de notre dignité humaine, de notre travail et de nos vies. Ils nous appellent voleurs, pourtant ce ne sont pas nous qui détournons des milliards de dollars chaque année via l’évasion fiscale, les prix illégaux, le détournement de fonds, la fraude aux consommateurs, les pots-de-vin, les commissions secrètes et les escroqueries. Ils nous appellent bandits, pourtant chaque fois que la plupart des Noirs récupèrent leurs chèques de paie, nous sommes volés. Chaque fois que nous entrons dans un magasin de notre quartier, nous sommes braqués. Et chaque fois que nous payons notre loyer, le propriétaire nous pointe un pistolet dans les côtes.


Ils nous appellent voleurs, mais nous n’avons pas volé et assassiné des millions d’Indiens en les dépouillant de leur terre pour ensuite nous appeler “pionniers”. Ils nous appellent bandits, mais ce ne sont pas nous qui volons l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine de leurs ressources naturelles et de leur liberté pendant que les gens qui y vivent sont malades et affamés. Les dirigeants de ce pays et leurs sbires ont commis certains des crimes les plus brutaux et vicieux de l’histoire. Ce sont eux les bandits. Ce sont eux les meurtriers. Et ils devraient être traités comme tels. Ces maniaques ne sont pas aptes à me juger, ni Clark, ni aucun autre Noir jugé en Amérik. Les Noirs devraient — et devront inévitablement — déterminer leurs propres destins.

Chaque révolution de l’histoire a été accomplie par des actions, bien que les mots soient nécessaires. Nous devons créer des boucliers qui nous protègent et des lances qui percent nos ennemis. Les Noirs doivent apprendre à lutter en luttant. Nous devons apprendre de nos erreurs.

Je veux m’excuser auprès de vous, mes frères et sœurs noirs, d’avoir été sur le New Jersey Turnpike. J’aurais dû mieux savoir. Le Turnpike est un point de contrôle où les Noirs sont arrêtés, fouillés, harcelés et agressés. Les révolutionnaires ne doivent jamais être trop pressés ni prendre des décisions imprudentes. Celui qui court quand le soleil dort trébuchera de nombreuses fois.

Chaque fois qu’un combattant de la liberté noir est assassiné ou capturé, les porcs essaient de créer l’impression qu’ils ont écrasé le mouvement, détruit nos forces et étouffé la révolution noire. Les porcs essaient aussi de donner l’impression que cinq ou dix guérilleros sont responsables de chaque action révolutionnaire menée en Amérik. C’est du non-sens. C’est absurde. Les révolutionnaires noirs ne tombent pas de la lune. Nous sommes créés par nos conditions. Façonnés par notre oppression. Nous sommes fabriqués en masse dans les rues des ghettos, dans des endroits comme Attica, San Quentin, Bedford Hills, Leavenworth et Sing Sing. Ils en produisent des milliers parmi nous. Beaucoup de vétérans noirs au chômage et de mères allocataires rejoignent nos rangs. Des frères et sœurs de tous horizons, fatigués de souffrir passivement, composent la BLA (Black Liberation Army).

Il existe — et il existera toujours, jusqu’à ce que chaque homme, femme et enfant noir soit libre — une Black Liberation Army. La fonction principale de la Black Liberation Army en ce moment est de créer de bons exemples, de lutter pour la liberté des Noirs, et de préparer l’avenir. Nous devons nous défendre et ne laisser personne nous manquer de respect. Nous devons obtenir notre libération par tous les moyens nécessaires.

C’est notre devoir de lutter pour notre liberté.
C’est notre devoir de gagner.
Nous devons nous aimer et nous soutenir les uns les autres.
Nous n’avons rien à perdre sauf nos chaînes.