Les luttes féministes sont loin d’être uniformes. Elles ont pris – selon le contexte, les acteur.ices en présence et les nécessités politiques du moment – de nombreuses formes. C’est ce qui explique pourquoi certains féminismes s’opposent aujourd’hui plus qu’ils ne se ressemblent : les objectifs et perspectives politiques du féminisme institutionnalisé « d’Osez le féminisme ! » ne sont pas forcément compatibles avec ceux d’un féminisme intersectionnel, décolonial ou de l’afroféminisme par exemple.
Les mots d’ordres du « Programme pour un féminisme de la totalité » (Pour un féminisme de la totalité, 2017, p. 16) peuvent servir de base théorique pour décrire la ligne politique que nous voulons mettre en avant : « refuser l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes, dénoncer les deux poids, deux mesures (entre la violence masculine au sein des dominés et son équivalent au sein des dominants), faire entendre la voix des femmes, trans, queer et non-blanc.hes ».
Le féminisme radical a été, depuis les années 90, nourri mais aussi confronté et renouvelé par les pratiques et théories transpédégouines (TPG). Derrière ce terme, on retrouve l’ensemble des voix de minorités sexuelles dissidentes qui luttent contre le capitalisme patriarcal. Face aux positions cissexistes de féministes comme Nicole-Claude Mathieu ou Christine Delphy (l’une fait de la « transsexualité » une simple attitude conformiste aux rôles genrés, l’autre signe, en 2020, une tribune résolument cissexiste avant de se rétracter : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/trans-suffit-il-de-s-autoproclamer-femme-pour-pouvoir-exiger-d-etre-considere) des militant.es et théoricien.nes trans se réapproprient les théories féministes matérialistes afin de les enrichir des expériences TPG.
Plutot que de renier l’héritage du féminisme matérialiste, nous allons essayer ici de comprendre comment et pourquoi ce courant de pensée peut mener à des positions transphobes :
Le féminisme matérialiste est né en opposition au féminisme essentialiste et découle de la fameuse analyse de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient ». Pour les féministes matérialistes, dont une des représentantes les plus connue est Christine Delphy, le patriarcat est un mode de production indépendant du capitalisme. Il s’agit d’une analyse de l’oppression des femmes en terme de classe ; la classe des hommes s’oppose à la classe des femmes. Pourtant, selon la militante pro-sexe Morgane Merteuil, si on pousse jusqu’au bout l’idée de « classe des femmes », sans définir comment cette catégorie a été produite par le capitalisme, on arrive à l’idée que les femmes sont des femmes parce qu’elles sont des femmes, ce qui reviendrait à une pensée essentialisante et potentiellement transphobe.
Le féminisme marxiste quant à lui, porté notamment par Sylvia Federici, tente de répondre à cet écueil en proposant une approche plus consubstantielle : le capitalisme est, en tant que tel, patriarcal. C’est-à-dire que le patriarcat que nous connaissons sous le capitalisme n’est pas le même que le patriarcat sous d’autres régimes politiques ou économiques. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y avait pas de sexisme avant le capitalisme mais que le capitalisme a reconfiguré les rapports de genre dans un objectif de production de plus-value (voir par exemple Caliban et la sorcière de Federici, ou bien encore Patriarcat et accumulation à l’échelle mondiale de Maria Mies).
Mais Delphy, comme d’autres féministes matérialistes, ne sont pas pour autant force de proposition de la transphobie aujourd’hui en France. Leurs écrits apportent de véritables perspectives antinaturaliste qui peuvent parfaitement être applicables aux champs d’études trans (voir par exemple le livre Matérialisme trans, publié en 2021 sous la direction de Pauline Clochec et Noémie Grunewald). Il nous semble donc que certains textes issus du féminisme matérialiste ont un réel intérêt politique et c’est pourquoi certaines de nos brochures les reprennent.
L’héritage de l’esclavage: éléments pour une autre approche de la condition de la femme